from Cambodge Soir, December 31, 2002

• Culture
Dix-huit artistes peignent leur
"vision du futur"

Par Chheang Bopha
 

Fond vert strié de coups de pinceau apparents dont semble vouloir sortir une ombre humaine, qui disparaît déjà de l'angle du tableau, laissant derrière, à contresens, des traces de pied rouges qui s'éloignent vers l'angle diamétralement opposé. Une société qui recule, des dirigeants dont les promesses électorales diffèrent de leurs actions, voilà comment Chan Vitharin imagine l'avenir. Avec 18 artistes, il présente, dans le cadre d'une exposition à la galerie Reyum qui s'ouvre ce soir, sa vision du futur. Leurs regards croisés, au travers de 43 peintures, projettent sur la toile leurs déceptions, leurs craintes et espoirs.

Destruction de l'environnement, ravages du sida, de la guerre, mais aussi célébration du patrimoine khmer, chacun, étudiant des Beaux-arts ou professionnel, expose dans son propre style son analyse de la société. Le choix d'évoquer l'avenir du pays émane de ce collectif d'artistes réunis par Reyum, un moyen de mettre en couleurs leur désenchantement, mais aussi d'attirer l'attention de leurs concitoyens et des dirigeants sur cette stagnation qu'ils disent observer depuis qu'ils sont enfants et qui englue le pays. "Rien ne change. Je ne vois aucun progrès. Je regarde autour de moi, et constate que les menteurs et les personnes dont les actes contredisent les dires sont pléthore", explique Chan Vitharin.

Son confrère Prom Vichet est tout aussi découragé. Entre les enfants orphelins du sida qui se multiplient et les dégâts de la déforestation à outrance, il veut quand même placer son espoir dans la jeune génération, qu'il souhaite voir élevée avec l'amour des parents et dans le respect du pays. "On détruit notre nature, on pille notre patrimoine. A ce rythme, les prochaines générations n'auront plus que notre drapeau national pour se souvenir d'Angkor Wat", lance-t-il.

L'un comme l'autre veulent "réveiller" les gens, les pousser à la réflexion, leur faire comprendre combien l'éducation des enfants importe pour dessiner le Cambodge de demain. Pour Vitharin, les enfants sont "comme des feuilles de papier vierges" : "Montrez leur en exemple des mauvais comportements, et il les reproduiront aussitôt". Une idée qu'il a matérialisée dans le geste du vieux mendiant, répété à l'envi par des enfants. "Chaque adulte possède des responsabilités vis-à-vis des jeunes", sermone ce jeune père de famille.

Ces artistes ne broient cependant pas que du noir. S'ils veulent choquer, renvoyer à travers leurs miroirs des portraits peu flatteurs des gens, c'est qu'ils croient encore que tout est possible, que le développement du pays n'attend qu'une révolution des comportements. "S'ils réfléchissent et se remettent en cause, les choses peuvent encore changer", veut croire Prom Vichet. Réaliste sur la portée de leur travail, il espère que les idées égrenées au cours de l'exposition feront leurche-min, en douceur.