Cambodge Soir, Lundi 6 Mars 2000

"Hommes et terre"

Une exposition d’Ang Choulean à la galerie Reyum


Texte : Pierre Gillette

 

 

Ici, une roche brute, là une représentation stylisée de la sexualité humaine, ailleurs des statuettes anthropomorphes ou l'association d'une figure de bouddha et d'une termitière, plus loin un phallus en pierre..., la représentation matérielle des Neak Ta génie tutélaire d'une communauté villageoise. se révèle multiforme. En 43 images, rassemblées sous le titre "Hommes et terre", Ang Choulean propose à la galerie Reyum un panorama des formes que l’homme a donné à cette déité populaire, invoquée pour rendre le sol fécond. "Sur le plan du rituel, les Khmers n’ont rien inventé ; la symbolique chez eux procède de la symbolique universelle : la fécondite du sol est à la image de la fecondité humaine», note Ang Choulean. dans l'introduction au catalogue de cette exposition.

Au-delà d'une collection d'images dont certaines frappent l'esprit, telle celle de cette pierre habillée d'une pièce de tissu ou celle encore d'une minuscule face de bouddha posée sur une racine, cette exposition ouvre nécessairement une réflexion sur les relations entre animisme, brahmanisme et bouddhisme au fil de l'histoire du Cambodge. Sur les murs de la galerie Reyum, cette exposition remplace celle de peintres cambodgiens explorant les marques du régime polpotiste dans leur mémoire.

"Nous concevons Reyum comme un espace d'expression ouvert aux artistes, aux auteurs, aux chercheurs. Nous souhaitons provoquer une émulation d'idées, proposer des repères de pensée pour que le Cambodge ne soit pas une coquille vide de pensée. Voilà pourquoi cette exposition de Ang Choulean, anthropologue de grande renommée, dont les travaux sont malheureusement peu connus au Cambodge, a tout à fait sa place ici", note Ly Daravuth, co-directeur de la galerie.

Cette exposition qui, par souci didactique, fait une grande place à l'image, donne lieu à la publication de trois catalogues, en khmer, en français et en anglais. Fait remarquable : les textes varient d'une édition à l’autre. Car « le problématic de cette exposition s'enonce de manière différente dans chacune des langues » relève Ly Daravuth. Et si Reyum souhaite que les étrangers accèdent, à travers son travail, à une meilleure information sur les réalités cambodgiennes, elle se fixe un objectif d'une autre nature à l'égard du public cambodgien. "Tous les Cambodgiens vivent avec les Neak Ta. Mais très peu les prennent pour un objet de réflexion. En particulier, les jeunes commencent à être déconnectés lorsqu'ils vont à la campagne et tendent à devenir des étrangers avec les paysans. D'où un souci pédagogique pour qu'ils ne perdent pas contact avec cet héritage vivant".

A travers cette exposition se trouve donc ainsi exprimée l'ambition plus lointaine des promoteurs de Reyum, dont l'action bénéficie pour l'heure du soutien de la fondation Kasumisou : démontrer la nécessité d'une institution dédiée à la recherche sur les arts et traditions cambodgiens. "L'art de fabriquer un outil, de construire un bateau forment, avec d'autres, un héritage qui va disparaître avec ses dépositaires si nous n'y prenons garde", s'inquiète Ly Daravuth. Aussi, "Hommes et terre" pose un jalon supplémentaire sur un chemin fort éloigné du mercantilisme.

Cette exposition débute demain.
A cette occasion, Ang Choulean animera une conférence-débat.
En khmer à 16h30 et en anglais à 18h30

Originaire de la province de Siem Reap, Ang Choulean a obtenu en 1974 une licence en archéologie de l'Université des Beaux-arts de Phnom Penh. En 1982, il obtient son doctorat en ethnologie de l'Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris. Aujourd'hui, il est professeur à la faculté d'archéologie de Phnom Penh et dirige le département de la Culture et des monuments de l'Autorité Apsara.